Ta dose de gentil cette semaine
On parle de Nobel, du livre préféré de Trump et d'empathie
Je sais que beaucoup de gens s’en foutent un peu des prix littéraires, et je suis la première à me foutre de certains (genre atchoum le Goncourt). Mais le Nobel, je m’en torche pas. Chaque année, j’attends avec impatience, en octobre, que l’Académie suédoise décerne son fameux prix littéraire (vous comprendrez que les autres Nobel me parlent moins).
Ça n’a pas toujours été comme ça. La vérité, c’est que mon intérêt est né à la suite d’un cours vraiment marquant à l’université, dans lequel on explorait les voix narratives internationales à travers, notamment, quelques œuvres d’auteurs et d’autrices nobélisé·es. Pour de vrai, je n’ai pas lu TOUTES les personnes lauréates du Nobel - il y en a genre 120 quelques - mais ce que j’ai eu la chance de lire a été vraiment eum… wow.
En lisant le japonais Kenzaburō Ōe, le sud-africain J.M.Coetzee, le mexicain Octavio Paz, la canadienne Alice Munro, la française Annie Ernaux, l’américaine Toni Morrison, William Faulkner ou encore l’allemand Heinrich Böll, j’ai été forcé d’admettre que les Nobel récompensent des chef-d’oeuvres littéraires extrêmement variés. Pis comme, j’utilise pas ce mot-là à la légère.
C’est drôle, mais cette semaine, j’écoutais une vidéo sur YouTube intitulée « Pourquoi les hommes ne lisent plus de fiction » (animateur un peu endormant, mais sujet hyper pertinent), et un point soulevé a vraiment attiré mon attention concernant le pouvoir de la littérature. Je fais un détour, mais promis, ça va rejoindre le Nobel de cette année.
Dans la vidéo, le youtubeur parle de l’argument de certaines personnes qui sont en défaveur de lire de la fiction. À l’inverse des livres pratiques, qu’on voit grandir en popularité chez les lecteurs masculins, la fiction, elle, ne nous « apprendrait rien de pratique » selon certains de ses détracteurs, et donc, ne servirait à rien. Cet argument a suscité l’intérêt de chercheurs, qui ont investigué la question de l’utilité de la fiction sur le plan humain et de la croissance personnelle. Et puis, bang, une étude de David Comer Kidd et d’Emanuele Castano révèle en fait tout le contraire, montrant que « lire de la fiction améliore ce qu’ils appellent la Theory of Mind ».
« La théorie de l'esprit est la capacité humaine à comprendre que d'autres personnes ont des croyances et des désirs, et que ceux-ci peuvent différer de nos propres croyances et désirs. »
Autrement dit, si vous pouvez lire entre les lignes, des chercheurs ont réussi à démontrer qu’en lisant de la fiction, nous augmentons notre capacité à comprendre les autres. La compréhension des autres peut porter le nom d’un concept, l’altérité ou d’une émotion, l’empathie. Le youtubeur fait ensuite mention du climat politique hostile actuel dans le monde (genre la guerre partout); pointe du doigt l’augmentation des conflits armés entre des camps qui ne se comprennent pas et qui ne veulent pas se comprendre; les écarts marqués entre les classes; les inégalités qui deviennent plus grandes; et la division qui se creuse de plus en plus entre la gauche et la droite. Puis il nous dit que « l’empathie est devenue assez rare ». Là-dessus, j’ai du mal à le rejoindre parce que je crois que l’empathie est une qualité que beaucoup de personnes ont, mais que beaucoup d’hommes puissants n’ont pas.
Qu’on pense à Elon Musk, Donald Trump, J.D. Vance, Poutine, Benyamin Netanyahou, et bon, plusieurs autres, on ne peut s’empêcher de soulever ce qu’ils ont en commun : le manque d’empathie.
Je me demande : est-ce que ces hommes lisent? Si oui, que lisent-ils?
Pour le fun, j’ai fait des recherches. Et je dois avouer : c’était vraiment divertissant.
Donald Trump dit que son livre favori, c’est la Bible. Quand on lui demande de citer son passage préféré, il change de sujet. Il a également déclaré que The Art of the Deal, son propre livre publié en 1987, un genre de livre hybride entre essai économique et mémoire, était son deuxième favori. Tiens donc, Donald.
J.D Vance, candidat à la vice-présidence pour Trump, a pour sa part souvent dit que son livre le plus marquant est The Road of Serfdom. Parce que j’avais aucune cloche qui me sonnait en lisant ce titre, j’ai googlé et surprise! La Route de la servitude (traduction officielle) est un essai qui prône l’individualisme, écrit par le philosophe et économiste Friedrich Hayek et paru en 1944. Actuel. Cool-cool.
Poutine, quant à lui, a souvent mentionné qu’un des livres marquants dans sa vie a été Le Prince, de Machiavel, un essai assez classique sur l’art du pouvoir et les stratégies militaires. Ah ok, nice.
Bref, le seul qui m’a étonné, c’est Elon Musk, qui a souvent mentionné qu’un des livres marquants de sa vie est : The Hitchhiker's Guide to the Galaxy de Douglas Adams. Ça, pour l'avoir aussi googlé, c’est un livre de science-fiction humoristique. Selon le milliardaire, ce livre-là a contribué à façonner sa vision de la vie et de l'univers, notamment en l'aidant à prendre les problèmes avec plus de légèreté et de perspective. Aight, ok, Elon. J’ai pu aussi découvrir qu’il a beaucoup été marqué par Foundation de Isaac Azimov. Make sense, je crois?
Bref, ma courte recherche a mis un peu de lumière sur une mini intuition qui m’habitait : des hommes politiques ayant beaucoup de pouvoir, d’argent et d’impact dans la vie des gens ne pratiquent pas beaucoup leur capacité à l’empathie. Triste quand même?
Je reviens au Nobel.
Durant ce fameux cours à l’université, je me rappelle très bien de Gibier d’élevage, une courte nouvelle de Kenzaburō Ōe qui m’a vraiment dérangée. Dans ce livre, l’auteur explore les thèmes de la guerre, de la xénophobie, de la violence et de la condition humaine à travers le prisme d'une petite communauté japonaise isolée pendant la Seconde Guerre mondiale. L'histoire se déroule dans un village reculé où un pilote américain noir abattu est capturé par les habitants. Les villageois, d'abord curieux et fascinés par cet étranger, décident de l’emprisonner. Au début, le pilote est traité comme une sorte de curiosité, presque un "gibier" à observer. Sauf que la situation dégénère quand des rumeurs et des peurs commencent à s'installer parmi les habitants. La dynamique de pouvoir entre les villageois et leur prisonnier évolue rapidement vers une violence brutale et inévitable.
Ce livre-là est dérangeant à tellement de niveaux parce qu’il met en scène une situation plausible dans laquelle se révèle une profonde violence intrinsèque de l’humanité. Mais il nous montre aussi la peur des habitants, celle de l’inconnu, de l’Autre. En lisant, on arrive à comprendre les deux côtés et on se sent mal de le faire. Kenzaburō Ōe nous montre très bien les angles complexes du prisme de la réalité subjective. Il nous montre aussi la réalité du peuple japonais qui a longtemps été isolé du monde extérieur. Une réalité qu’on peine à s’imaginer et qui, pourtant, a un jour été bien réelle.
Je repense aussi à Disgrâce, de J.M. Coetzee. Un livre tout aussi perturbant parce qu’il aborde le viol. Mon rapport avec ce thème est vraiment ambivalent parce que très triggering, et pourtant, ce livre-là dépasse largement ce sujet-là. En gros, Disgrâce raconte l'histoire de David Lurie, un professeur d'université en Afrique du Sud, qui voit sa vie s'effondrer après une liaison avec une de ses étudiantes, qui l’accuse d’agression sexuelle. Contraint de démissionner à la suite de ce scandale, il se réfugie chez sa fille lesbienne, Lucy, dans une ferme isolée. Là, ils sont victimes d'une attaque violente qui laisse des séquelles profondes : Lucy est violée par un groupe d’hommes pendant que lui se fait lancer de l’essence et une allumette au visage. Défiguré, sans emploi et brisé par le drame, David Lurie doit faire face à sa propre culpabilité et doit parallèlement accepter les violences profondes dont il a été victime.
Ce livre, mon dieu, j’en résume les quelques lignes ici et j’en ai encore des frissons, mais ce livre, c’est un chef-d’œuvre qui nous force à nous sentir mal à l’aise. Ce que Coetzee nous montre, cela dit, c’est un clin d'œil vraiment rapide à la violence systémique qui a lieu en Afrique du Sud. On est alors forcé de se questionner sur le concept de culpabilité, chose très peu confortable, croyez-moi.
Je pense aussi (et j’arrête après, promis) à L’honneur perdu de Katharina Blum, d’Heinrich Böll. Katharina est une femme ordinaire dont la vie bascule lorsqu'elle est injustement accusée de complicité avec un criminel recherché. Après avoir passé une nuit avec cet homme, Katharina est violemment prise pour cible par la presse à sensation, qui déforme les faits et la diabolise publiquement. Le roman explore les conséquences destructrices de la diffamation médiatique et met en lumière la manière dont les médias peuvent manipuler l'opinion publique et détruire la réputation d'une personne, mais aussi comment les gens adorent détester l’image d’une femme « mauvaise » . Quand on lit ce livre, on est forcé de se mettre à la place de la pauvre Katharina. On est empathique à sa situation et on est bouleversé par le scandale qui va briser sa vie.
Je pourrais m’étendre longuement, vous l’avez vu, sur d’autres Nobel que j’ai lus (atchoum Annie Ernaux, omg j’en reviendrai jamais), mais mon point est celui-ci : les prix Nobel récompensent des auteurs et autrices qui ont marqué leur époque en « ayant rendu de grands services à l’humanité grâce à une oeuvre qui a fait la preuve d’un puissant idéal. » (Citation tirée du Nobel, directement.)
Wow, hein.
Tu gagnes le Nobel pis on te dit : au nom de l’humanité, merci.
Cool-cool-coool.
Mais t’sais, j’y crois quand même, que c’est ce que tous les lauréats et lauréates ont fait. Chaque personne ayant remporté le Nobel a « sur dire » quelque chose sur nous, quelque chose d’important sur les autres. Le Prix Nobel, vous me voyez peut-être venir, mais récompense les œuvres qui célèbrent et exercent la Theory of Mind.
Et moi, ça, je trouve ça vraiment inspirant, beau, touchant toute l’affaire. Aujourd’hui, le Prix Nobel m’inspire parce qu’il me force à m’intéresser à une autrice sud-coréenne. À un auteur japonais. À quelqu’un, ailleurs, qui me parle de sentiments que je connais, mais de réalités que je ne connais pas. C’est beau, me semble?
Je vais donc juste revenir de ces très longs détours à notre sujet principal : la nouvelle lauréate du Nobel est sud-coréenne. En décernant le prix, l’Académie suédoise a mentionné la qualité de son œuvre en soulignant le pouvoir incroyable de « sa prose poétique et intense qui affronte les traumatismes historiques et révèle la fragilité de la vie humaine ».
C’est pas l’inventeur de Garfield qui aurait ce genre de critique, en tout cas.
Bon aller, sur ce, quelques autres trucs qui ont attiré mon oeil cette semaine :
[Musique]
Marc Scibilia : je scrollais tout bonnement quand j’ai découvert cet artiste-là sur Instagram. J’ai vite été attirée par ses covers extraordinaires et aussi par le mini détail qu’il fait tout, tout seul. En explorant plus en profondeur sa discographie, je suis tombée sur des chansons originales vraiment nice.
[Santé]
Parce que mon utérus est pas mal bruyant dans ma vie dernièrement, mon algorithme m’a fait découvrir que l'hystérectomie est l'une des interventions chirurgicales les plus courantes en milieu hospitalier. Actuellement, près d'une Canadienne sur trois, âgée de 60 ans et plus, s'est fait retirer l'utérus. Bien que ce taux soit en baisse, principalement en raison du recours croissant aux traitements non chirurgicaux pour de nombreuses affections gynécologiques, l'hystérectomie semble être largement banalisée au Canada. Pour de nombreuses femmes et certains médecins, cette intervention est perçue comme une étape naturelle du vieillissement ou une suite logique après la maternité. Au Canada, environ 35 000 hystérectomies sont pratiquées chaque année. C’est fou, hein? Apparemment, cette « acceptation culturelle de l’hystérectomie » soulève beaucoup de questionnements chez les scientifiques, qui croient que les impacts de cette intervention sont très méconnus.
Source : The Conversation
[Techno]
Elon Musk a officiellement fait le lancement de ses robots humanoïdes, dont l’esthétique est inspirée des robots du film I, Robot, t’sais le film avec Will Smith. Je sais pas ce que vous en pensez, mais c’est vraiment weird pis j’espère tellement que ça ne deviendra pas quelque chose de commun, d’avoir un robot qui promène ton chien à ta place…
Et pour poursuivre sur ma lancée des prix littéraires :
Les finalistes du GG (du Gouverneur Général) sont officiellement dévoilés, pour voir la liste complète par catégorie, ici.
Prix Médicis : Martine Delvaux est en lice pour son essai Ça aurait pu être un film. Il est aussi en lice pour le Prix des libraires du Québec.
ENFIN, je vous laisse là-dessus :
Le soleil connait une forte activité ces derniers temps, c’est cyclique à ce qu’il parait, et bon, grâce à ses tempêtes solaires fréquentes, il nous permet d’avoir des superbes aurores boréales. Même dans des endroits inusités, comme au Grand Canyon. Voyez comme c’est beau.
Pour les plus accros, y’a même une vidéo “extrêmement rare” de ce phénomène qui a été prise. Pour la voir, sortez juste ici.